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Portrait de Bertolt Brecht (1954)/CC BY-SA 3.0
Bertolt Brecht

Et si on avait déjà essayé ?

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par Sethi
Mise à jour le 7 août 2024
Temps de lecture : 5 minutes

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Extrême droite Théâtre

C’est depuis son exil forcé que Bertolt Brecht publie en 1938 la pièce « Grand-peur et misère du IIIᵉ Reich », une série de 24 tableaux de la vie quotidienne des Allemands sous le régime nazi. Un reportage étalé sur cinq ans (de 1933 à 1938) et qui croque tous les pans de la société.

« Paysans, soldats, chercheurs, magistrats, médecins… toutes les couches de la société sont scrutées à la loupe dans leurs petites compromissions, leurs stratégies de survie, leurs lâchetés ou leurs actes de résistance, dans une suite de tableaux indépendants les uns des autres, comme autant d’instantanés de l’Allemagne des années 1930. » C’est ainsi que le Théâtre de l’Odéon présente la pièce qui sera mise en scène par Julie Duclos du 11 janvier au 7 février prochain.

La metteuse en scène précise avoir voulu adapter cette pièce afin de rendre « sensible la manière dont le fascisme s’infiltre peu à peu dans la vie quotidienne, ordinaire. Comment, au détour d’une parole, d’un regard, d’un silence, le mensonge et la peur s’insinuent dans la chair des gens et modifient leurs relations, y compris, et surtout, là où l’on s’y attendrait le moins. Non pas sur le champ de bataille ou en réunion politique, mais dans l’intimité d’une cuisine, d’une chambre ou d’un bureau. »

Une pellicule avec 24 poses

Il n’y a que peu de repères temporels dans cette œuvre, si ce n’est quelques échos de la guerre d’Espagne, et pourtant la guerre est omniprésente. Elle justifie les privations, la surveillance de tous par tous, le contrôle. En effet, si la guerre n’a pas encore eu lieu en 1938, elle est bien là, dans la propagande, dans la quête des éléments perturbateurs de la bonne marche du national-socialisme, dans les rapports entre une femme juive et son mari allemand, entre la mère qui remercie les services sociaux du Reich du panier de vivres qu’elle reçoit et sa belle-fille, conduite au poste pour avoir fait remarquer que sans l’augmentation du prix de ces mêmes denrées, ils auraient pu les acheter eux-mêmes, ou ce couple persuadé que leur enfant vient de partir rapporter à la Gestapo les critiques du père envers le régime…

Les éléments de folklore cachent mal la trame de fond de cette société : la peur de l’autre. Quand « Heil Hitler » devient une formule de politesse obligatoire, chacun interprète le ton sur lequel il est prononcé. Et chacun tremble : ce voisin arrêté, observé par une fenêtre, il doit être communiste, c’est certain. Comment rendre la justice quand un juif dénonce les exactions de la SA  ? Le simple fait d’être chômeur est suspect : ils donnent à penser que tout ne va pas bien dans le tableau peint par Goebbels à la radio. Ne pas écouter la radio est tout aussi suspect d’ailleurs.

Un portrait de la lâcheté et de la peur

Fondamentalement, le personnage principal de cette pièce est la peur et sa conséquence : la lâcheté ordinaire. Il ne s’agit pas ici de contester politiquement les causes, mais bien de donner à voir les conséquences. Tous ces Allemands ordinaires ont choisi de laisser faire, de se laisser-faire.

Brecht ne cherche pas à jeter l’opprobre sur quiconque, mais à dépeindre l’infinie banalité du mal. Nous, nous savons qu’un an après la publication de cette pièce, la guerre a éclaté. Nous savons que douze ans et demi après l’accession au pouvoir du Parti national-socialiste des travailleurs allemands, le monde découvrait les camps d’extermination. Mais si eux l’ignoraient, tous ces crimes ont pris racine dans la passivité quotidienne d’un peuple aux prises avec une crise économique et un sentiment de déclassement. Il n’est pas nécessaire d’attendre le bout des horreurs pour comprendre qu’elles ont lieu : l’ouvrage de Brecht, et toute son œuvre, nous apprennent que la vie des Allemands n’était pas si idyllique avant-guerre et surtout, qu’à chaque instant, il reste nécessaire de dire non.

À lire : l’ouvrage est édité par les éditions de l’Arche pour 12 €, en ligne ou en librairie.

Et bien sûr au théâtre de l’Odéon en janvier prochain → Infos et billetterie

Retrouvez ici la pièce complète :
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